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Pourquoi les électeurs allemands ont deux voix

Et pourquoi la CDU a eu pour slogan «La deuxième voix, c'est pour Merkel» durant toute la campagne électorale.

Un électeur lors des législatives allemandes du 27 septembre 2009. REUTERS/Christian Charisius.
Un électeur lors des législatives allemandes du 27 septembre 2009. REUTERS/Christian Charisius.

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Contrairement aux électeurs français, qui élisent leur président au suffrage universel direct à deux tours, les Allemands ne votent qu'un seul dimanche et élisent seulement leurs députés, qui à leur tour élisent le chancelier. Mais le bulletin de vote qu'ils glisseront ce dimanche dans les urnes —ou devaient envoyer par courrier au plus tard vendredi, pour ceux qui ont demandé à le recevoir à domicile— est double: à gauche figure la liste des candidats qui se présentent dans leur circonscription, à droite, celle des partis politiques et de leurs candidats à la chancellerie.

Avec sa première voix, l'électeur allemand vote directement pour un candidat de sa circonscription au poste de député. Les candidats qui remportent le plus de suffrages se partagent la moitié des 598 sièges du Bundestag.

Avec la seconde, il vote pour une liste présentée par un parti politique, dont la ou le chef de file a vocation à devenir chancelier. C'est cette deuxième voix qui est la plus importante, car elle va déterminer, à la proportionnelle, le poids politique total des partis représentés au Bundestag.

Pour faire entrer leurs députés au Parlement allemand, les partis doivent récolter au moins 5% des suffrages au titre des deuxièmes voix. La seconde voix représente souvent le seul moyen pour les petits partis de siéger au Bundestag, la plupart des sièges accordés aux députés élus au suffrage direct étant raflés par les candidats des deux grands partis, la CDU et le SPD.

Rééquilibrer la répartition

Là où ça se complique, c'est que, dans le cas où un parti a un nombre de députés élus via la première voix trop élevé par rapport au nombre de sièges au Parlement qui devrait lui être conféré par la proportionnelle, celui-ci obtient alors des mandats supplémentaires, un député élu au suffrage direct ne pouvant se voir refuser un siège. C'est ce qui explique pourquoi le nombre de députés du Bundestag varie: il sont par exemple 622 au lieu de 598 à siéger au Parlement actuellement, la CDU/CSU ayant obtenu 24 sièges supplémentaires lors des élections de 2009.

Cette particularité du système, qui pouvait créer des injustices par rapport aux partis de moindre envergure, la CDU et le SPD se retrouvant avec plus de poids au Bundestag que ne leur aurait accordé la proportionnelle, a été modifiée cette année. Le nouveau code électoral stipule que dans ce cas, il faut augmenter le nombre de sièges du Parlement de manière à rééquilibrer la répartition des forces politiques, c'est-à-dire à ce que le poids de chaque parti reflète les résultats de la proportionnelle.

Ce qui peut désormais théoriquement conduire à «un agrandissement massif» du Bundestag, comme le notent les experts de l'agence fédérale pour l'éducation civique. Dans certains cas, le nombre de députés pourrait en effet grimper à plus de 800.

«Les deux grands partis perdent de plus en plus d'électeurs»

Ce système ne posait pas autant problème autrefois car la CDU et le SPD avaient un plus grand poids électoral qu'aujourd'hui, explique Stefan Seidendorf, responsable de la politique européenne à l'Institut franco-allemand:

«Dans le passé, les deux grands partis avaient à peu près autant de mandats gagnés directement qu'il leur en revenait par la proportionnelle. Les quelques mandats "de trop" étaient repartis de façon à peu près égale. Cette relation s'est détériorée les dernières années, les deux grands partis perdant de plus en plus d'électeurs. Or, leurs candidats continuent de gagner dans les circonscriptions. Il y a donc un décalage entre les deux votes.»

Lorsque la CDU et le SPD étaient plus puissants, ceux-ci pouvaient se permettre d'«offrir» leur deuxième voix à des petits partis, appelant plusieurs fois leurs électeurs à voter pour des listes présentées par le FDP et les Verts lorsque ceux-ci s'avéraient être des partenaires indispensables pour pouvoir former une coalition majoritaire. Avec l'introduction du nouveau système, qui renforce le caractère proportionnel des élections, ils ne sont plus dans une situation aussi confortable, explique Stefan Seidenforf:

«C'est la raison pour laquelle la CDU est très réticente à appeler à voter pour le FDP avec la deuxième voix. Car même en raflant toutes les circonscriptions directement, ce que la CDU pourrait faire par exemple au Bade-Wurtemberg et certainement en Bavière, cela ne change pas dans l'ensemble le rapport de forces établi via la proportionnelle de la deuxième voix. La CDU pourrait donc se retrouver sans majorité.»

«Merkel est encore traumatisée par les élections de 2005»

La consigne de vote qu'a donnée la CDU à ses électeurs tout au long de la campagne, malgré les suppliques du FDP, «La deuxième voix, c'est pour Merkel», est donc moins une tentative de laisser le parti libéral au bord de la route que d'éviter à tout prix une grande coalition avec le SPD. Comme l'analyse Stefan Seidendorf:

«Merkel est encore traumatisée par les élections de 2005, où tout a failli capoter pour elle. Donnée largement gagnante, elle frôlait la catastrophe le soir des élections, quand il s’avérait que c'était sans doute la grande popularité personnelle de Schröder qui faisait que les gens votaient pour le SPD avec leur deuxième voix. La force "proportionnelle" du SPD fut beaucoup plus grande que ce qu'annonçaient les sondages. Et Merkel a du se résigner à une grande coalition.»

A l'issue du vote, le président fédéral désigne un chancelier, en général le candidat de la fraction politique la plus représentée au Bundestag, à l'approbation des députés. Étant donné qu'il est très rare qu'un seul parti obtienne plus de la moitié des sièges du Parlement, ce qui l'autoriserait à gouverner seul, le parti majoritaire est obligé de former une coalition avec un ou plusieurs partis. Ceux-ci ont alors deux mois pour trouver un terrain d'entente et établir un contrat de coalition.

En cas d'échec, les Allemands doivent retourner aux urnes. Cette situation ne s'est jamais présentée depuis l'après-guerre, aucun parti n'osant prendre le risque de provoquer une crise politique comme celle qui a propulsé Hitler au pouvoir et signé l'effondrement de la République de Weimar.

Annabelle Georgen

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