Marine Le Pen rend hommage au mémorial du soulèvement du ghetto de Varsovie, qui commémore les Juifs qui se sont révoltés contre les forces nazies pendant la Seconde Guerre mondiale, décembre 2021 © AP

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Bienvenue à l’édition spéciale des élections françaises de Europe Express.

Des le début de la campagne des legislatives, Marine Le Pen a reçu un soutien qui aurait été, il y a peu, impensable pour le parti fondé par son père antisémite et un groupe comprenant d’anciens membres de la Waffen-SS et des collaborateurs de Vichy : le chasseur de nazis Serge Klarsfeld.

L’activiste de 88 ans, dont le travail sur l’Holocauste a contribué à condamner le “Boucher de Lyon” Klaus Barbie et le collaborateur nazi Maurice Papon, a déclaré le 15 juin qu’il soutiendrait le Rassemblement National plutôt que La France Insoumise, le parti d’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon.

« Le RN soutient les Juifs, le RN soutient Israël et il est normal pour moi de voter pour un parti pro-juif », a-t-il déclaré à la chaîne de télévision LCI.

Le soutien de Klarsfeld est en grande partie le fruit de la “dédiabolisation” du RN, que Marine Le Pen a engagée depuis une décennie. Il montre également l’influence dans les élections françaises, de l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre, suivie de l’operation militaire Israelienne dans Gaza. Le conflit a cristallisé un changement de perception parmi les Juifs français ainsi que parmi certains intellectuels libéraux de premier plan - au point de pouvoir aider le RN demain, lors du second tour.

Serge Klarsfeld, Paris
Serge Klarsfeld, Paris © AP

Je suis Anne-Sylvaine Chassany, ancienne cheffe du bureau de Paris pour le FT. Nous consacrons cette édition de samedi de Europe Express ainsi que la suivante à la politique française. Les enjeux sont élevés : les élections anticipées provoquées par Emmanuel Macron pourraient permettre au RN eurosceptique et anti-immigration de former son premier gouvernement. Ce résultat serait un événement politique majeur pour la France et l’UE. Vous pouvez également le lire en anglais ici et m’écrire à : anne.chassany@ft.com

Les Juifs en France estiment que l’extrême gauche est responsable de la vague d’antisémitisme

Klarsfeld montre la perception grandissante au sein de la communauté juive et d’une partie des intellectuels français que c’est l’extrême gauche pro-palestinienne et ses jeunes manifestants arborant le keffieh qui poseraient désormais la plus grande menace pour les Juifs.

Ces accusations provenant de voix influentes - comme par exemple Bernard-Henri Lévy et la philosophe Élisabeth Badinter - vont peser au moment où les partis allant des centristes d’Emmanuel Macron à la LFI de Mélenchon exhortent leurs electeurs de rallier un front républicain contre le RN.

Quand viendra le moment de voter, demain, dans les 577 circonscriptions de France, beaucoup auront des doutes au sujet des candidats LFI et pourraient être tentés de s’abstenir. Cela augmenterait mathématiquement les chances des candidats d’extrême droite.

Comment Marine Le Pen s’est transformée en protectrice des Juifs

L’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen a été établi par les tribunaux français : le nonagénaire a été condamné à plusieurs reprises en vertu des lois françaises contre les incitations à la haine pour des propos antisémites ou minimisant l’Holocauste. Depuis 2011, en tant que chef de parti, Marine Le Pen s’efforce d’effacer ces relents antisémites au sein de son parti. Elle a evincé son propre père en 2015.

Mais elle est allée plus loin en tentant de séduire une partie de l’électorat juif avec une position ferme contre l’islamisme, identifié par le RN comme la menace planant sur le mode de vie français et la laïcité. Au cours de la dernière décennie, son message a particulierement porté après des attentats par des extremistes islamistes, notamment les meurtres d’enfants juifs à Toulouse en 2012, une vague d’attaques terroristes revendiquées en 2015-2016 et la décapitation du professeur Samuel Paty en 2020.

L’opération militaire israélienne à Gaza a été suivie d’une explosion des actes antisémites en France. Un quart des Juifs français disent en avoir été les victimes, selon une enquête d’Ifop.

Environ 90 % désignent la LFI comme responsable et 57 % disent qu’ils quitteraient la France si le parti de Mélenchon venait à gouverner. Seulement 30 % disent qu’ils s’exileraient si le RN arrivait au pouvoir. L’écrivain de droite Alain Finkielkraut a exprimé son désarroi sur BFMTV : « Si Mélenchon arrive au pouvoir, c’est fini pour les Juifs. » Il n’a cependant pas dit s’il rejoindrait les 18 % de Juifs français déclarant voter pour le RN.

La perspective d’un gouvernement dirigé par LFI est une faible possibilité. Le parti de Mélenchon a obtenu moins de 10 % des voix aux élections européennes du mois dernier. Il fait maintenant partie du Nouveau Front Populaire, qui comprend des sociaux-démocrates tels que l’ancien président socialiste François Hollande, les Verts et les Communistes. Mais l’extrême droite n’a pas hésité à instrumentaliser ces peurs.

Le Pen est allée plus loin cette semaine avec une tribune dans Le Figaro, intitulée : «Combien de temps allons-nous tolérer les abjections de l’extrême-gauche sur l’antisémitisme ?» Dans celle-ci, elle se sent obligée de rappeler aux lecteurs: « N’ai-je pas déclaré dès 2011 que les (camps de concentration) avaient été le sommet de la barbarie ? ». Elle reconnaît également, pour la première fois, une responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs français sous le régime de Vichy — un sujet controversé au sein de l’extrême droite.

Les responsables israéliens applaudissent, mais sont-ils au courant des dérapages de certains candidats RN?

La tribune a été bien accueillie en Israël. Le ministre des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli (Likoud), a déclaré mardi à la radio publique Kan : « C’est excellent pour Israël que [Le Pen] soit la présidente de la France, avec dix points d’exclamation. »

Lorsqu’on lui a demandé si le leader de son parti, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, était de son avis, Chikli a répondu : « Je pense que Netanyahu et moi partageons la même opinion. »

Le message pro-Israël n’a toutefois pas atteint tous les candidats RN: la presse française a révélé des multiples dérapages racistes et antisémites en examinant les comptes Facebook et autres réseaux sociaux des candidats. La dernière découverte, mardi : une candidate en Normandie, qui avait franchi le second tour, a publié une photo d’elle portant une casquette d’officier nazi. Elle a dû se retirer.

Les intellectuels sont profondément et passionnément divisés

Le débat a créé une profonde division parmi les intellectuels libéraux. Beaucoup considèrent désormais que Mélenchon — et son « communautarisme » — est le plus grand danger pour la République. Le patron du parti social-democrate Place Publique, Raphaël Glucksmann, qui a lui-meme subi des insultes de la part d’autres Juifs pour avoir conclu une alliance avec LFI, a souligné que le projet du Nouveau Front Populaire mentionnait clairement la lutte contre l’antisémitisme et une référence aux attaques « terroristes » du 7 octobre.

La Commission nationale des droits de l’homme, qui a publié son rapport annuel sur le racisme et l’antisémitisme la semaine dernière, a également noté que les sympathisants d’extrême droite étaient ceux qui adhéraient le plus aux préjugés antisémites traditionnels : plus d’un tiers d’entre eux disent que « les Juifs ont trop de pouvoir », la moitié pensent qu’ils ont une « double allégeance » ou une relation particulière avec l’argent.

Ce débat a abouti à des consignes de vote confuses à la veille du second tour. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) exhorte les électeurs à éviter les deux extrêmes — l’extrême droite et l’extrême gauche. Mais l’Union des étudiants juifs de France appelle les électeurs à se boucher le nez et à voter pour tout candidat anti-RN, même s’ils sont investis par LFI.

Quel impact ce débat va-t-il avoir demain ?

Les blocs centristes et de gauche ont convenu de retirer des candidats pour éviter une fragmentation du vote anti-RN. Mais les électeurs suiveront-ils ? Les sondeurs élaborent des modèles de prédiction basés sur des hypothèses de participation et transfert de voix qui pourraient se révéler erronées dimanche. Ils projettent que le RN obtienne le plus grand bloc au parlement — peut-être plus de 200 sièges — mais en deçà d’une majorité de 289.

Cela signifierait un parlement divisé en trois grands blocs aux programmes très différents. Si la menace du RN est écartée, bien d’autres défis émergeront.

Plus sur ce sujet

Florian Gauthier, fondateur de Lareserve.tech, et Maurice Ronai ont créé ce chatbot AI francophone sur ChatGPT pour essayer de convaincre les électeurs réticents de soutenir la Nouveau Front Populaire et ses alliés LFI pour barrer la route au RN. Deux points de départ : « Je ne vote pas pour les extrêmes » ou « Je ne vote pas pour les antisémites.»

Le comité éditorial du FT a appelé tous les partis anti-RN à se coordonner au second tour pour empêcher le parti d’extrême droite de gouverner la France

Les choix de la semaine d’Anne-Sylvaine

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