Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 25 juillet 2024

Violent Panic: The Big Crash - Bôsô panikku: Daigekitotsu, Kinji Fukasaku (1976)


Takashi et Mitsuo sont braqueurs de banque. Ils préparent un dernier coup avant de s'enfuir au Brésil. Mais la police les guette, Takashi croise la belle Miki, et les choses ne tourneront pas comme prévu.

Violent Panic : The Big Crash est une œuvre jetant un pont entre le passé cinématographique et le présent social japonais. Le film renoue en effet avec une tradition du film noir local des années 50/60 qui, se calquant sur le polar américain, produisit plusieurs films de casse et de gangsters. Ce courant précédait le courant plus spécifiquement japonais du ninkyo-eiga des années 60, mettant en scène les yakuzas et célébrant leur code d’honneur en en faisant des figures chevaleresques. Kinji Fukasaku à ses débuts a œuvré (entre autres) dans ces deux genres en exécutant des films de commandes durant les années 60, avant d’imposer un style et des thèmes plus personnels durant les années 70 avec une série de films de yakuzas remettant complètement en question l’imagerie noble des ninkyo-eiga - la saga Combats sans code d’honneur, Guerre des gangs à Okinawa (1971),  Okita le pourfendeur (1972), Le Cimetière de la morale (1975) entre autres.Violent Panic effectue ainsi une sorte de retour aux sources avec son postulat de film de casse, tandis que la mise en scène chaotique de Fukasaku est à l’inverse davantage héritière de l’esthétique développée dans les années 70.

Le contexte social est également fondamental. En cette fin des années 70, le Japon s’installe dans une pure logique de société de consommation et s’éloigne de la profonde agitation politique marquée par les coups d’éclat de L'Armée rouge japonaise. Ce tumulte se reflétait logiquement dans les films (de la même manière que les poliziottesco produit dans l’Italie subissant les attentats des Brigades Rouges) et dans Violent Panic, Fukasaku confronte en quelque sorte cette transition. Le héros Takashi (Tsunehiko Watase) suit un objectif d’enrichissement rapide purement individualiste par le prisme du hold-up, et finalement presque tous les protagonistes suivent à leur manière cette logique égoïste et capitaliste.

C’est le fil conducteur de personnages parfois très secondaires à l’intrigue principale mais qui la rejoigne par ce biais idéologique. Un jeune garagiste s’extasie et mutile la voiture de luxe d’un de ses clients, ce dernier se venge en abusant sexuellement du jeune homme, des policiers couchent ensemble et se trompent mutuellement. Le profit et le plaisir immédiat sans précaution pour l’autre unissent tous les personnages, du bon ou du mauvais côté de la loi, notamment le frère de l’ancien acolyte de Takashi qui va le traquer impitoyablement pour avoir lui aussi sa part du gâteau.

Sous son côté froid et taciturne, Takashi a cependant une faille avec la belle et imprévisible Miki (Miki Sugimoto). Au premier abord, elle semble aussi creuse et superficielle que les autres en s’attachant au matériel (le vol du manteau de fourrure) mais, touchée par la bienveillance de Takashi sous ses airs bourrus, elle décide de ne plus le quitter. On oscille ainsi entre la cavale en couple et la cohabitation forcée dans leur relation, Takashi n’osant jamais suffisamment éteindre son humanité pour laisser Miki derrière lui sans un regard. Les situations rocambolesques les séparent puis les réunissent tout au long du récit, jusqu’à ce que Takashi accepte ses sentiments et décide de poursuivre sa route avec elle. Miki Sugimoto, plus habituée aux rôles d’adolescentes sexy et dure à cuire dans les films Sukeban de la Toei, est ici surprenant en pure créature aimante et vulnérable. Elle dépasse son emploi de corps désirable et menaçant pour s’avérer très touchante.

Tous ces éléments en germe culminent et aboutissent de façon purement formelle dans les sidérantes vingt dernières minutes du film. Dans une longue et apocalyptique course poursuite en voiture, les motivations des multiples poursuivants diffèrent. Il y a ceux visant cet objectif matérialiste et individualiste reposant sur le capitalisme : le policier visant une promotion, le frère du complice de Takashi courant après le butin, les automobilistes furieux de voir leurs véhicules endommagés. Et en tête du peloton, Takashi et Miki oubliant la logique pécuniaire pour simplement espérer s’en sortir ensemble. 

Rien n’est explicité par le dialogue mais le chaos des images est parlant dans une séquence tout simple stupéfiante où le style chaotique de Fukasaku étincelle. Caméra à l’épaule, montage heurté, vision intérieure ou extérieure des véhicules naviguant entre zooms agressifs et plans d’ensemble dantesque, c’est un festival de tôle froissée spectaculaire. La pyrotechnie sert cependant un propos, pas très éloigné de Le Grand embouteillage de Luigi Comencini (1979) mais en étonnamment moins nihiliste et désabusé sur la nature humaine. Si l’épilogue nous apprend que Takashi poursuit ses activités de braqueur, on devine que l’appât du gain est aussi stimulant que le fait de mener cette vie avec l’élue de son cœur. 

Sorti en bluray français chez Roboto Films


mardi 23 juillet 2024

Trains étroitement surveillés - Ostře sledované vlaky, Jiri Menzel (1966)

Miloš travaille dans une petite gare de Tchécoslovaquie pendant l'Occupation, lors de la Seconde Guerre mondiale. Tourmenté par sa timidité, il reste paralysé devant la jolie contrôleuse qui pourtant s'offre à lui. Devant cet échec, et désespéré de pouvoir prouver qu'il est un homme, il tente de se suicider.

Trains étroitement surveillés est le premier long-métrage de Jiri Menzel, dont le succès et les récompenses (Oscar du meilleur film étranger en 1967) le placeront en chef de fil de na Nouvelle Vague tchèque au côté de Milos Forman ou Věra Chytilová. Le film est une adaptation du roman de Bohumil Hrabal, écrivain tchèque profondément lié aux plus grandes réussites du réalisateur. Jiri Menzel l’avait en effet déjà adapté dans son segment du film à sketches Les Petites Perles au fond de l'eau (1965, coréalisé avec Věra Chytilová, Jaromil Jireš, Jan Němec et Evald Schorm) puis réitéra avec Alouettes, le fil à la patte (1969), Une blonde émoustillante (1981), Les Festivités du Perce-neige (1984) et Moi qui ai servi le roi d'Angleterre (2006). Le mélange d’humour noir, de provocation teintée d’érotisme et de tendresse caractérisant l’univers littéraire de Hrabal en font une influence majeure de la Nouvelle vague tchèque et plus particulièrement de Menzel.

Ces émotions contrastées se trouve donc dans Trains étroitement surveillés, récit d’apprentissage décalé. La scène d’introduction illustre ce mélange de poids du passé et d’impasse du présent qui fige le jeune Milos (Václav Neckář). Le héros nous énonce en voix-off le passif « glorieux » de ses ancêtres masculins, tous coupables dans leur mélange de feignantise et d’excentricité d’avoir réussi à échapper aux métiers ouvriers les plus laborieux. Ces pensées le traversent alors qu’il est revêtu par sa mère de l’uniforme jadis porté par son père, fraîchement retraité dont il s’apprête à reprendre le poste dans une petite gare. Milos ressent ainsi le poids d’une lignée pourtant peur recommandable, tandis que les modèles masculins qu’il va fréquenter au sein de son cadre de travail le sont tout aussi peu.

Hubicka (Josef Somr), le sous-chef de gare qui va le prendre sous son aile est en effet un séducteur invétéré dont les prouesses intimide notre héros. Un contexte ambigu participe implicitement à l’anxiété de Milos. L’histoire se déroule durant la Deuxième Guerre Mondiale, alors que l’Allemagne nazie occupe la Tchécoslovaquie. Le modèle de virilité masculine rêvé est ainsi contredit par un pays vaincu, voire ridiculisé (le flashback familial de l’oncle ayant cherché à stopper les chars allemands grâce à son pouvoir d’hypnotiseur) tandis que le cadre de la gare offre un microcosme de la situation en voyant les trains chargés de cargaisons et soldats allemands traverser librement les lieux. Milos est ainsi partagé entre un climat de concupiscence stimulé par des hommes virils mais aussi des femmes ardentes, et la frustration d’autres se réfugiant derrière l’église et la morale pour fustiger les plaisirs dont ils sont privés – géniale séquence nocturne où le chef de gare hurle son aigreur alors que Hubicka s’apprête à conclure.

Jiri Menzel trace une nette différence entre le climat hédoniste dont Milos reste l’éternel spectacteur – l’orgie entre les infirmières et les soldats, la main baladeuse entre l’oncle photographe et ses modèles féminins peu farouches – et la timidité voire la tétanie qui le frappe quand il s’agit de se lancer, ne serait-ce que pour un baiser avec sa fiancée contrôleuse Macha (Jitka Bendová). Menzel filme ces moments à travers un onirisme suspendu et une ironie apportant leur lot de vision surréalistes. Il n’en oublie cependant jamais la profonde souffrance de Milos dont le dépit va le conduire à quelques actions extrêmes qui estompe toute moquerie possible, qui ravive notre empathie quand le ton se fait trop rigolard.

Les différentes lignes narratives et thématiques fustigeant ce virilisme intimidant finissent par se rejoindre de façon habile. Il y a tout d’abord les « exploits » de Hubicka qui le confronte enfin de façon menaçante à l’opprobre morale, avec un hilarant sens de l’ironie dans le dévoilement fessier de sa victime « étudié » par les censeurs. Mais plutôt que de tourner à vide pour la seule autosatisfaction du plaisir charnel, « être un homme » rejoint aussi une sorte d’idéal héroïque pour Milos. Cela s’incarne par une séduisante messagère livrant une bombe destiné à faire sauter un train allemand, et qui va se charger de déniaiser enfin le jeune homme. Les peurs s’estompent, tout fait sens et Milos peut enfin lâcher prise et s’abandonner le temps d’une nuit.

Mais devenir un homme et quitter les rives de l’enfance, c’est aussi être rattrapé par les soubresauts du monde des adultes comme il va le comprendre à ses dépens. Trains de nuit étroitement surveillés est une œuvre passionnante qui placera Jiri Menzel sur l’échiquier cinématographique mondial, mais dont l’ascension sera malheureusement stoppée par la fin du Printemps de Prague.

Sorti en dvd zone 2 français chez Malavida


 

dimanche 21 juillet 2024

Hellraiser III : Hell on Earth - Anthony Hickox (1992)


 Chef des Cénobites, Pinhead s'arrache à sa prison, un totem qu'expose Monroe dans l'antichambre de son night-club. Après avoir fait de nouveaux adeptes et pris le dessus sur son sauveur, Pinhead affronte un adversaire inattendu et redoutable : l'homme qu'il fût avant de vendre son âme au diable et de basculer dans les ténèbres...

Hellraiser 3 marque une rupture logistique pour la saga puisqu’il s’agit du premier volet produit aux Etats-Unis. En raison des difficultés rencontrées durant la production de son film Cabal (le studio 20th Century Fox effectuant de larges coupes et sortant un montage non validé par Clive Barker, le film étant un échec en salle), Film Futures, la société de production de Clive Barker se trouve en difficulté financière. Les droits de la franchise sont ainsi en partie revendus à Dimension, filiale de Miramax (compagnie des frères Weinstein) consacrée au cinéma d’horreur. Si Hellraiser 3 se fait dans une relative sérénité, les conséquences seront fatales pour les opus suivants. Néanmoins l’ambiguïté, le mystère et l’atmosphère plus spécifiquement associée au cadre britannique s’estompent ici pour une approche plus explicite, simpliste et américaine.

Avant ces changements, un troisième volet était déjà envisagé par Barker qui comptait mettre le personnage de Julia (Clare Higgins) au centre de l’intrigue, mais le refus de l’actrice de reprendre son rôle change les plans. Malgré ce nouvel environnement et l’introduction d’autres personnages, le film est une vraie suite tenant compte des évènements de Hellraiser (1987) et des révélations de Hellraiser 2 (1988). Ce dernier levait en partie le mystère sur le passé de Pinhead en ranimant son identité humaine oubliée. Hellraiser 3 explicite par une approche psychanalytique grossière la dualité que Barker construisait par le prisme de l’imagerie et des relations SM dans le premier opus. Cette fois il s’agit d’explicitement illustrer le schisme entre Elliott, pan humain plus égaré que maléfique, et Pinhead pure incarnation démoniaque. La « boite », pure incarnation de cette attrait/répulsion pour le plaisir de recevoir ou infliger la douleur, devient un simple artefact sans impact. Les Cénobites étaient la matérialisation surnaturelle de ces affects humains contradictoires, mais le taiseux et inquiétant Pinhead est relégué ici au croquemitaine ricanant.

Anthony Hickox est un réalisateur plutôt porté sur une horreur distanciée et référentielle, peu approprié pour le ton pesant attendu sur un Hellraiser. Malgré cette sensibilité différente, il se montre soucieux de s’inscrire dans la continuité des précédents films qu’il admirait, et cela fonctionne par intermittence. Sur le fond le manque de subtilité est criant, Hellraiser marquait la rencontre des désirs coupables enfouit en chacun avec un contexte de normalité rassurante. Une grande partie de l’intrigue se déroule dans un club de hard-rock et, la musique tout comme les tenues inhérentes à cette communauté fige le côté sombre de Hellraiser dans une concrétude ringarde. Il reste quelques éléments originels dans le personnage de Terri (Paula Marshall), jeune femme à la dérive et engoncée dans des relations toxiques avec les hommes – et cible idéale à devenir une Cénobite. 

C’est cependant formellement que Hickox apporte sa touche de façon marquée, les méfaits de Pinhead permettant de grandiloquentes visions blasphématoires, ou des fusions chair/métal presque cyberpunk et lorgnant sur le cinéma d’un Shin'ya Tsukamoto. Sans doute pas versé dans la sexualité plus aventureuse de Barker, Hickox effleure une certaine perversion sans oser y plonger de plain-pied durant quelques situations, notamment le climax où l’héroïne Joey (Terry Farrell) se trouve ligotée de cuir par Pinhead. Quelques cadrages et plans suggestifs trahissent la tentation d’aller plus loin, le film n’ose pas les débordements dignes de l’esprit malade de Clive Barker voire Tony Randel. Hellraiser 3 n’est pas une suite honteuse, mais elle manifeste le piège de normalité qui guette la saga en l’inscrivant dans un standard de son époque du cinéma d’horreur. 

Sorti en bluray français chez L'Atelier d'image